dimanche 27 mars 2016

MSP, Big Pharma, ARS, NMR... (in)dépendance ?

Quand on parle Maison de Santé Pluriprofessionnelle, est souvent évoqué le problème de l'indépendance (ou pas) de ces structures.




(in)dépendance envers l'industrie pharmaceutique ?

J'ai récemment râlé à plusieurs reprises sur Twitter au sujet de l'acoquinement de le Fédération Française des Maisons et Pôles de Santé avec Big Pharma, notamment la "Signature d’une convention de revitalisation entre Pfizer et la FFMPS" en janvier 2016, et le fait que les labos convoitent la mane représentée par les MSP (voir ici un autre exemple).

Cela m'attriste profondément... car la plupart des praticiens que je connais œuvrant dans les maisons et pôles de santé sont plutôt éthiquement proches du Formindep que de Big Pharma.
J'aurai bien pu me douter qu'on en arriverait là, voyant la présence importante des labos lors des congrès de la FFMPS, mais peut-être par dissonance cognitive je n'aurai jamais pensé que les labos arriveraient à la tête de cette "Fédération" (qui risque de ne plus trop fédérer les médecins tenant à l'absence de conflits d'intérêts).

Oui, à la tête :
  • Facilimed est un organisme fondé par des membres de la FFMPS, dans un but très utile : fournir des "facilitateurs", faisant tout le travail complexe associé à la MSP.
    En effet, un cabinet individuel de médecin est bien plus simple à gérer qu'une MSP, d'autant plus que la formation à l'administratif et la gestion d'une entreprise est quasi-inexistante dans nos cursus. nb : cela rappelle les AGI proposés par les médecins "privés de désert"
    Des facilitateurs formés à ça, qui nous déchargent du temps médical pour ce faire, c'est bien.
    Que ces facilitateurs, donc gestionnaires et un peu décisionnaires soient dépendants de l'industrie pharmaceutique, ça l'est moins...

    Je suis aussi attristé que le principe de base de cette coopérative initialement indépendante (puisque créée par les professionnels pour les professionnels, qui payaient des professionnels au vrai prix pour les aider), ait été bafoué.
    Je vous invite à parcourir leur site, pas encore mis à jour depuis le partenariat (pas encore le logo de Pfizer), qui reflète l'état d'esprit coopératif, cf leur description en bas de page :


  • Les communications officielles de la FFMPS, même hors Facilimed, affichent sans complexe ce partenariat :

    Avant même le partenariat "de revitalisation" de janvier 2016, Pfizer avait déjà commencé à apparaître dans les moyens de communication de la FFMPS (notamment les WebConférence gérées par ce même labo, censées former les équipes) depuis fin décembre.

Reprenons maintenant ce qui figure dans la charte éthique de la FFMPS :

En laisser infiltrer facilitateurs et formations par un labo, on ne s'en éloignerait pas un peu, de cette indépendance ?

Pour finir au sujet de la FFMPS, je signalerai que l'adhésion coûte 400€ par MSP, et la participation au congrès 200€ par personne, malgré la présence +++ de partenaires.

Est-ce insuffisant pour éviter ces écueils ? Je ne maîtrise pas assez ces questions pour me prononcer. J'aimerai juste savoir combien coûterait l'indépendance.

Doit-on aller jusqu'à la scission de la FFMPS avec un clan "pharma-free" vs un clan "décomplexé" ?
Cela m'attriste quand même un peu, vu tout ce que la FFMPS a fait de positif et d'essentiel pour les Maisons et Pôles de Santé Pluriprofessionnels jusqu'à ce jour, et indirectement pour notre propre projet.

Impression de cracher dans la soupe (ou potage), de scier la branche sur laquelle on repose, mais c'est comme ça. J'espère que l'avenir verra une inversion de la tendance...


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Aborder l'indépendance des Maisons et Pôles de Santé ne peut s'évoquer sans aborder les subventions publiques des MSP.


(in)dépendance envers les autorités sanitaires ?

Est aussi souvent discuté la dépendance envers les institutions étatiques qui peuvent intervenir dans le financement, donc aussi source de conflit d'intérêt.

J'ai personnellement accepté ce risque de "conflit d'intérêt" (comparable à la convention de la sécu), simplement parce que si beaucoup de mes confrères disent que l'état ne fait rien pour les médecins de nos jours, moi je trouve qu'il propose beaucoup pour les MSP avec des compromis acceptables.
C'est pourquoi je prendrai notre cas pour illustrer, en reconnaissant bien que si ça nous va bien à nous, ça n'est pas forcément adapté à tout le monde.

Je ferais la distinction entre avantages fixes et évolutifs pour une raison simple :
  • Les avantages fixes sont payés une seule fois, en général au début du projet, ensuite on n'en parle plus.
  • Les avantages évolutifs peuvent se répéter chaque année, mais aussi être remis en cause pour plusieurs raisons : inadéquation entre ce que demandent les autorités sanitaires et ce que les praticiens acceptent de proposer, remise en cause de ces subventions, changement de système, etc.

Avantages "fixes" du statut / de la reconnaissance en tant que MSP

La reconnaissance par l'Agence Régionale de Santé (ARS), ouvre la porte à des subventions départementales, régionales, nationales, etc. :

  • la construction de notre MSP a été subventionné pour moitié par des aides de ce type dont le sésame était la reconnaissance par l'ARS. nb : l'autre moitié est un emprunt payée par nos loyers. Et la construction subventionnée était pour nous à la fois indispensable (anciens cabinets médecin et paramédicaux vétustes, souhait de se regrouper) et ne devait pas représenter un boulet (hors de question de commencer notre carrière en étant prisonnier d'un emprunt).
  • + un bonus : 30.000€ payé directement par l'ARS elle même dans le cadre du Fond d'Intervention Régionale (FIR), pour équiper le bâtiment (meubles...) et certains autres éléments de mise en place (installation logiciel, avocat pour statut de la SISA...).

On s'engage à respecter une certaine vision de l'offre de soin compatible avec des besoins, on nous donne des sous, c'est aussi simple que ça. Et une fois payé, c'est payé. Donc peut-être dépendance préalable, mais pas de "dépendance" durable envers les autorités.
nb : là aussi, les "privés de désert" étaient visionnaires, ils demandaient que les collectivités locales et ARS construisent. Vœux exaucé chez nous :-)


Avantages "évolutifs" des Nouveaux Modes de Rémunération, alias NMR

Comme dit plus haut, la pérennité de ces avantages n'est pas garantie.

C'est un point essentiel : il ne faut surtout pas dépendre de ces rémunérations pour fonctionner, cela ne doit représenter qu'un bonus pour faire des actions spécifiques, faire des choses en plus, ou parfois être payé pour des choses pour lesquelles la convention de la sécu ne prévoit rien mais qu'on ferait quand même.

Certaines MSP disent avoir été piégées par ce fait... cf cette MSP dîte "ARS-dépendante".

En prenant en compte cette précaution, les règles du jeux sont claires.
Voici comment ces subventions sont calculées, cf ce tableau xls (pour simuler combien ça peut rapporter), ou le texte officiel de l'arrêté sur Légifrance (tableau au milieu de la page).

Mon avis sur les NMR : principe comparable à la ROSP, mais personnellement je trouve les conditions demandées pour toucher les NMR beaucoup plus acceptables que certains objectifs très discutable sur le plan scientifique des ROSP.
Pour le coup, je ne peux que remercier la FFMPS d'avoir abouti au bout de longues tractation à ça.

Je reprend encore notre cas, en détaillant point par point :

  • Accès aux soins :
    • est demandé 8h-20h en semaine et 8h-12h, soins non programmés, coordination des soins ; avant notre projet de MSP, 3 médecins en 2 cabinets avaient une amplitude horaire plus large que ça (notamment le samedi). Maintenant, on est 5, en se répartissant, cela représente une baisse notable de la charge de travail par médecin... et on est payé pour ça !
    • consultation de praticien de second recours, dentiste ou sage-femme : le projet a permis d'attirer une sage-femme
    • au moins 3 professions paramédicales présentes : c'est bon, notamment lié au fait que le projet de santé à attiré 2 orthophonistes (qui manquaient +++) et une podologue
      => double bénéfice : on attire, on est payé.
  • Travail en équipe pluriprofessionnelle :
    • établir des protocoles + se réunir sur des thèmes de santé très généraux, qu'on choisi nous même, avec des objectifs qu'on se fixe nous même (très différent de la ROSP).
      Je ne me vois pas bosser autrement, dans mon milieu rural sans EHPAD avec un objectif marqué de maintien à domicile : si on n'est pas cohérent en pluripro, c'est au détriment de la prise en charge des patients complexes.
      Le fait que ce principe de coopération soit gravé dans le marbre a été un des points attractifs à la fois pour les médecins et les paramédicaux ; et le fait d'être en plus payé pour cela est incitatif (pas indispensable) en terme de qualité.
    • formation de jeunes professionnels de santé : il est prévu qu'un soit une maison de santé universitaire. On ne bosserai pas en MSP, on souhaiterai quand même avoir des étudiants. On va donc être doublement rémunéré pour cette mission.
      nb : au passage encore un rappel aux privés de désert : l'idée des MUSt, Maisons Universitaires de Santé 
  • Système d'information conforme au cahier des charges ASIP santé :
    ça nous va très bien, on comptait changer les vieux logiciels des prédécesseurs d'une part, et prendre un logiciel dématérialisé d'autre part (intérêt : disponible hors MSP, partage avec professionnels du pôle de santé hors des murs de la MSP, techniquement moins lourd). On a trouvé ce qu'il nous fallait, et tous les professionnels y sont dessus, avec partage d'information configurable selon les desiderata des patients. Et bien ce logiciel pourra au moins en parti être financé par les NMR, ce qui est une incitation utile notamment aux paramédicaux (les logiciels concernés étant à la base plutôt prévus pour les médecins, même si les volets paramédicaux progressent).

Vous trouvez vraiment ça lourd ? Comme vous voyez, pour nous ça pose aucun soucis.
Dans notre cas particulier bien sûr, pas extrapolable à tous.

Quant au fait de ne pas en être dépendant, on l'expérimente déjà étant donné que bien qu'on réponde à tous les critères, on n'a pas encore fait notre demande pour toucher les NMR, ainsi on voit bien si on peut fonctionner sans, en cas d'inadéquation future. Quand on les toucheras, ça allégera simplement les coûts de gestion en payant un peu le secrétariat, l'informatique, et nos actions coordonnées dans l'intérêt du patient, mais ne sera aucunement indispensable à notre pérennité.

Enfin, quant à nos rapport à l'ARS, vu les règles du jeu actuelles plutôt souples, je pense qu'on peut continuer de travailler dans la bonne entente, comme cela a été le cas depuis le début du projet.

Pour mémoire, tant qu'on est dans le thème de l'indépendance, une dernière parenthèse en rappelant que je me suis déjà "frité" avec cette même ARS, qui s'était véhémentement vexée quand j'avais exprimé mon étonnement suite à la présence de laboratoires pharmaceutiques lors d'une réunion co-organisée par eux.
Et bien cela n'a eu aucune influence sur mon projet de MSP : je n'ai pas eu à me rétracter ou faire de compromis, tout comme je ne me suis pas pour autant éloigné d'eux, et ils ne nous ont pas pénalisé, au contraire, notre projet a été aidé, et l'un de ceux accueillis les plus favorablement.


Conclusion : 

  • L'indépendance est un combat permanent que chacun doit mener, on ne peut pas forcément compter sur ses représentants... voir parfois s'en détourner ? #FFMPS
  • La notion d'indépendance en médecine en France est relative étant donné que l'Etat est payeur. Dans le cas des MSP, le compromis proposé me semble au moins aussi acceptable que la convention, plus acceptable que la ROSP. Mais cette aide doit rester à tout prix un bonus, et non un impératif si on ne veut pas se retrouver trop dépendant.
  • Dans certains coins comme le notre, sans aide de ce type, le désert médical aurait vraiment existé (cf l'histoire décrite dans ce blog), je ne vois vraiment pas de scénario alternatif
  • La MSP n'est pas pour autant la panacée. J'ai beaucoup développé à quel point c'était parfaitement adapté à notre projet, mais je conçois tout à fait qu'en d'autres lieux dans d'autres conditions ce ne soit pas du tout le cas. D'où l'intérêt de ne pas en faire un modèle unique imposé, mais un modèle - certes très adapté à beaucoup de situations - parmi d'autres.

et PS hors sujet développé sur cet article : content de voir que la vision des privés de désert ait inspiré, au moins partiellement, la vision des maisons de santé :-)

jeudi 24 mars 2016

MSP : premier bilan



Bon, ça fait quasi 6 mois depuis le dernier article.
6 mois d'ouverture de notre belle Maison de Santé Pluriprofessionnelle (MSP).

Il serait temps que je donne suite avec un petit compte rendu.

Je vais essayer de faire pas trop long, et éventuellement j'essayerai de détailler sur d'autres articles ce qui mérite d'être développé. N'hésitez pas à me demander des précisions, ou à donner votre point de vue !



Tout d'abord, il est clair que je ne regrette absolument pas mes 9 mois de gestation installé à l'ancienne (cf articles précédents pour les détails).

Maintenant, j'ai toujours peu de temps libre, cependant c'est plus lié au fait que je profite de mon statut de jeune papa que à cause du boulot, donc l'objectif souhaité d'une meilleure balance entre vie professionnelle et vie privée est mieux respecté.

Par ailleurs, la structure et surtout l'organisation du travail permettent de vraiment se concentrer sur le patient, tout en assurant une continuité des soins confortable grâce aux secrétaires, au travail en équipe entre médecins, mais aussi avec les paramédicaux.

Un point sur lequel je suis quand même un peu déçu : la communication inter-professionnelle n'est pas encore tout à fait au point. Pour beaucoup de raisons. La principale est qu'on est débordés, et on n'a pas (encore) bloqué sur nos plannings des moments systématiques de réunions. Et on est tellement chargés qu'on a du mal à libérer ce temps nécessaire. Heureusement la proximité géographique fait qu'on se parle, mais parfois trop vite.

J'en suis un peu déçu, de même que de la prise en charge des patients pas assez consensuelle à mon goût, et je pense l'exprimer peut-être par une frustration énervante pour mes collègues, avec le risque d'un cercle vicieux fermant encore plus la communication. La solution : des groupes de pairs ? Là aussi, on a peur de ne pas en avoir le temps...
Conseil à des projets similaires : anticipez ++ en prévoyant ces temps de réunion avant d'être saturé.

Ce nouveau système semble en tout cas convenir aux patients, bien qu'une période d'adaptation a été nécessaire : les anciens médecins étaient quand même là depuis plus de 35 ans et ont été à juste titre appréciés par la population.

Mais passer du sans-rendez-vous-permanent-avec-une-médecin-non-associée-qui-bossait-18h/j à du tout-sur-rendez-vous-avec-5-médecins-différents, que quand c'est "urgent" on tombe pas forcément sur "son" médecin, et que parfois on nous dit que le rendez-vous semi-urgent c'est pas avant au moins demain alors qu'avant c'était quand on voulait quel que soit le motif... ça n'a pas été tout à fait facile, ni pour les patients, ni pour les secrétaires qui n'avaient pas du tout ce rôle de tri auparavant.
C'est l'autre principal point restant à résoudre à mon avis : la bonne régulation téléphonique des appels. Si vous avez des pistes de formation, de méthode, je suis preneur.

Cela convient malgré tout aux anciens patients, mais aussi à beaucoup de nouveaux : beaucoup de patients du canton (que je rappelle rural et vaste) se faisaient soigner alentours en raison de la saturation locale. La saturation s'est maintenant inversée : les patients du coin (re)viennent se faire soigner avec plaisir, appréciant cette structure près de chez eux, et c'est très positif. Ce qui est par contre inquiétant, c'est que des patients alentours (> 20 km) commencent à affluer... alors qu'on est déjà chargés.

Niveau murs, la maison de santé est vraiment chouette, agréable, sans être tape à l’œil (ce qui à mon avis plombe les coûts de certaines autres MSP en difficulté). Des plâtres ont été essuyés (problèmes de plomberie, problèmes de stabilité d'internet alors qu'ont utilise des outils en ligne, chauffage mal réglé...) mais dans l'ensemble ça va, on s'y voit pour longtemps !

Enfin, un signe de l'adaptation de ce système aux demandes des médecins de notre génération : avant la MSP il était très difficile de trouver un remplaçant, maintenant en décrivant les conditions de travail, à peine une annonce est postée que plusieurs postulants nous contactent.

Au final, nous sommes encore pour l'instant sereins quant à l'avenir local, bien qu'après être passés de 3 à 5 médecins, nous ne cracherions pas sur un 6ème médecin vu les points de quasi-saturation évoqués. Mais la structure étant attractive, on a déjà au moins une piste.

La solution à nos problèmes de temps, ou la poursuite de l'inflation ?

L'avenir nous le dira :-)

...à suivre...
dans moins de 6 mois, j'vas essayer !

Fluctuat nec mergitur

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